Chapitre 25

Avec un bon levier et un bon point d’appui, n’importe quelle intelligence co-sentiente est susceptible de se métamorphoser en un éclatant instrument de connaissance de soi.

Attribué à un ancien mystique humain.

 

— À moins qu’elle ne commette une erreur grave ou que nous ne découvrions un avantage inattendu, déclara Broey, « ce n’est qu’une question de temps pour qu’elle nous écrase. »

Il se trouvait dans son nid d’aigle, au point le plus élevé du plus haut bâtiment des Monts du Conseil. Le poste de commandement était une salle à l’épreuve des projectiles, de forme ovale, percée d’une seule fenêtre. Celle-ci, située exactement dans la ligne de vision de Broey, à une quinzaine de mètres de lui, offrait le spectacle du coucher du soleil derrière les parois du canon. À la gauche de Broey, il y avait une petite table avec un communicateur. Quatre officiers d’état-major attendaient leurs ordres à proximité. Le reste de la salle était occupé par des cartes, tableaux de position et d’autres accessoires du commandement, avec leur personnel.

Le service de renseignements venait juste de déposer sur la table de Broey le rapport annonçant que Jedrik avait capturé Tria et son père.

Un des officiers, qui avait la maigreur et les autres stigmates caractéristiques des Gowachins nés dans la Bordure, regarda en hésitant ses trois compagnons et s’éclaircit la voix avant de demander : « Est-ce le moment de capituler ? ». Broey secoua la tête en un geste de dénégation typiquement humain.

Il serait temps que je les mette au courant, se dit-il.

Il se sentait particulièrement accablé. Dieu refusait d’entrer en communication avec lui. Plus rien dans son monde ne respectait les anciens contrats.

Nous avons été joués.

Les puissances du Mur de Dieu s’étaient moquées de lui. Elles s’étaient moquées de ce monde et de tous ses habitants. Elles avaient…

« Ce McKie… » fit le même officier.

Broey déglutit puis, sans lui laisser le temps de poursuivre :

« Je doute que McKie se fasse une idée, même lointaine, de la manière dont elle l’utilise. »

Il jeta un coup d’œil aux dossiers qui s’empilaient sur sa table. La plupart concernaient McKie. Les services de renseignements n’avaient pas chômé, ces derniers temps.

« Si nous pouvions le tuer ou le faire prisonnier… » avança l’officier.

« C’est trop tard », fit Broey.

« Pourrons-nous éviter de capituler ? »

« Tout est toujours possible. »

Aucun des quatre officiers ne sembla goûter cette réponse. Un deuxième, corpulent, au teint d’un vert lustré, parla à son tour :

« Si nous sommes obligés de capituler, comment saurons-nous si… »

« Nous ne capitulerons jamais, et nous devons faire en sorte qu’elle le sache ! Son intention est de nous exterminer. »

Voilà ! Il le leur avait dit.

Malgré leur stupeur, ils commençaient à comprendre son raisonnement. Peu à peu, leurs visages s’éclairèrent.

« Le couloir… » avança un troisième officier.

Broey se contenta de lui jeter un regard sans expression. L’imbécile aurait dû savoir qu’ils ne pouvaient espérer évacuer qu’une partie de leurs forces par ce canal avant que Jedrik et Tria ne l’étranglent. Et même à supposer qu’ils gagnent la Bordure, que pouvaient-ils faire ? Ils n’avaient pas la moindre idée de l’endroit où ces maudites usines de production alimentaire étaient cachées.

« Nous devrions tenter de libérer Tria », fit celui qui avait parlé le premier.

Broey eut un geste d’impatience. Il avait prié pour que Tria prenne contact avec lui, en vue d’ouvrir des négociations. Peine perdue. Elle n’avait pas donné signe de vie, même après s’être retranchée dans ses positions impossibles. La conclusion était qu’elle avait perdu le contrôle de ses troupes à l’extérieur de la cité. Beaucoup d’autres indices corroboraient ce jugement. La Bordure était perdue. Jedrik s’en était rendue maîtresse. Sinon, Tria aurait ouvert des pourparlers dès qu’elle se serait rendu compte que sa position était intenable. Toute information, toute carte de valeur en sa possession l’aurait incitée à venir trouver celui qui était en mesure de payer le plus.

Mais qui pouvait lui payer son prix ? Tria, après tout, était une Humaine.

Broey soupira.

Et ce McKie… un savant idiot venu de l’autre côté du Mur de Dieu. Un expert en armements. Jedrik avait dû le savoir. Mais comment ? Les Dieux lui parlaient-ils aussi ? Il en doutait fort. Jedrik paraissait trop maligne pour se laisser berner par des divinités malhonnêtes.

Plus maligne, plus intelligente, plus dosadie que moi.

Elle méritait la victoire.

Il se leva pour marcher jusqu’à la fenêtre. Ses officiers, derrière lui, échangèrent des regards préoccupés. Allait-il pouvoir les tirer du pétrin ?

De la fenêtre, Broey apercevait une partie de son étroit couloir. Il n’entendait aucun bruit de bataille mais des gerbes d’explosions orangées lui indiquaient que les combats se poursuivaient. Il savait quel était l’enjeu de la partie engagée par Jedrik. Ces Gowachins de derrière le Mur de Dieu, ceux qui avaient créé cet endroit infernal, étaient d’une lenteur désespérante. Mais ils finiraient par ne plus pouvoir se méprendre sur les intentions de Jedrik. Allaient-ils enfin se manifester, ces demeurés, pour tenter d’arrêter Jedrik ? Visiblement, c’était ce qu’elle attendait. La moindre de ses actions montrait à Broey le soin avec lequel elle s’était préparée pour affronter ces idiots de l’extérieur. Broey lui souhaitait presque de réussir, mais il ne pouvait accepter le prix que son peuple et lui allaient avoir à payer.

Jedrik avait sur lui l’avantage du temps. Elle avait McKie, qu’elle avait su utiliser comme un merveilleux instrument. Que ferait-il quand il comprendrait l’usage final auquel elle le destinait ? Oui… McKie était l’outil parfait pour Jedrik. Elle n’avait attendu que son arrivée pour agir. Elle ne s’y était pas trompée.

Seigneur ! Elle a été superbe !

Broey se gratta les nodules interventriculaires. Il était pris au piège, mais il y avait encore un certain nombre de choses qu’il pouvait accomplir. Il retourna vers ses officiers.

« Évacuez le couloir. Faites-le discrètement, mais sans perdre de temps. Repliez-vous sur les fortifications intérieures. »

Au moment où les officiers commençaient à s’éloigner, Broey les rappela :

« Il me faut quelques volontaires soigneusement triés. Qu’on leur explique la situation de manière qu’ils ne se fassent aucune illusion. Ils seront appelés à se sacrifier comme aucun Gowachin, jusqu’à présent, ne l’avait jamais envisagé. »

« De quelle manière ? »

C’était le maigre qui avait parlé. Broey jugea séant de lui répondre en particulier. Un Gowachin originaire de la Bordure était plus à même de comprendre ces choses.

« Nous devons augmenter le prix que nous demandons à Jedrik. Plusieurs centaines de ses partisans contre chacun des nôtres. »

« Des missions-suicides », fit le même officier.

Broey hocha affirmativement la tête en poursuivant :

« Autre chose. Je veux qu’on m’amène Havvy et qu’on prenne des dispositions pour augmenter la ration journalière des Humains que nous tenons en réserve. »

Deux officiers s’écrièrent ensemble :

« Ils n’accepteront jamais de se sa… »

« Je les destine à quelque chose d’autre », coupa Broey.

Oui, réfléchissait-il. Certains de ces Humains pouvaient encore lui être utiles. Sans doute pas autant que McKie vis-à-vis de Jedrik, mais… il y avait encore une chance. Jedrik ne devait pas savoir exactement quel parti il pouvait tirer de ses Humains. Havvy, par exemple. De toute évidence, elle avait envisagé de l’utiliser elle-même, pour y renoncer par la suite. Finalement, c’était lui, Broey, qui allait sans doute en bénéficier. Il fit signe à ses officiers d’aller exécuter ses ordres. Ils avaient remarqué sa détermination nouvelle. Elle se communiquerait à ceux qui servaient sous leurs ordres. Cela aussi allait favoriser ses plans. Le moment serait retardé où son peuple risquerait de s’apercevoir qu’il était en train de jouer le tout pour le tout.

Il retourna s’asseoir devant son communicateur et appela son équipe de recherche en leur enjoignant de multiplier ses efforts. Elle pouvait encore accomplir ce que Jedrik avait su faire avec Pcharky, à condition de trouver un autre Pcharky.

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